La nécessité d’une application loyale et non abusive des clauses de mobilité constitue l’une des principales limites apportées par la jurisprudence à la liberté de mise en œuvre de ces clauses par l’employeur. Pour conclure à l’abus de droit ou à la déloyauté, les juges s’attachent, en effet, non seulement au comportement de l’employeur mais également aux conséquences personnelles, pour le salarié concerné, de l’application de la clause de mobilité.
Devant le juge « il appartient à celui qui invoque un détournement de pouvoir d’en apporter la preuve ». Cass. soc. 10 juin 1997 n°
94-43889 (P). Cela signifie que c’est le salarié qui devra apporter les éléments tendant à démontrer que l’employeur a utilisé la clause de mobilité à d’autres fins que celles dictées par l’intérêt de l’entreprise.
Si quelques arrêts postérieurs avaient porté quelques coups de canif à ce principe ont pu laisser croire que l’on se dirigeait vers une obligation pour l’employeur de justifier sa décision (voir par exemple Cass. soc. 23 janvier 2002 n°
99-44845 ou Cass. soc. 7 avril 2004 n°
02-40287) , la Cour de cassation est revenue à plus de fermeté.
- La bonne foi contractuelle étant présumée, les juges n’ont pas à rechercher si la décision de l’employeur de faire jouer une clause de mobilité stipulée dans le contrat de travail est conforme à l’intérêt de l’entreprise, qu’il incombe au salarié de démontrer que cette décision a en réalité été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien qu’elle a été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle » Cass. soc. 23 février 2005 n° 04-45463 (P) et Cass. soc. 28 mars 2006 n° 04-41016 (P)
Malgré cette jurisprudence, s’il est un conseil que l’on peut néanmoins donner au salarié, c’est de toujours demander à l’employeur de justifier, par écrit de préférence, la mise en œuvre de la clause de mobilité, de demander quelles sont les raisons objectives qui justifient la mutation. Cette demande d’explication pourra, le cas échéant, être faite au cours de l’entretien préalable de licenciement qui suivrait le refus du salarié. Le membre du personnel ou le conseiller du salarié assistant le salarié convoqué à l’entretien préalable pourra ainsi faire figurer dans l’attestation qui sera remise au salarié les propos tenus par l’employeur à cette occasion. Cette attestation pourra être ensuite utilisée dans le cadre du procès prud’homal. Autant il est facile de donner un ordre, autant il peut s’avérer délicat de le justifier de manière objective.
D’ailleurs, l’obligation de justifier la mesure est parfois prévue par la convention collective applicable à l’entreprise comme par exemple l’article 78 B de la convention collective nationale des sociétés d’assurance qui encadre de manière très rigoureuse la mobilité géographique des salariés. La mutation doit, entre autres, impérativement être justifiée par « des nécessités d’organisation ou de développement ».
Pour qualifier d’abusive la mesure de l’employeur, les juges vont tenir compte de la manière dont il a mis en œuvre la clause ou prendre en considération les conséquences pour le salarié. Très souvent, c’est une combinaison d’un ensemble d’éléments qui permet de déclarer abusive la décision de l’employeur. Comme tout contrat, le contrat doit être effectué de bonne foi de part et d’autre. Les circonstances de la mutation vont parfois permettre au salarié de mettre en exergue les intentions malignes de l’employeur et lui donner l’opportunité de contester la mesure ou le licenciement consécutif au refus de mutation.
La précipitation de l’employeur dans la mise en œuvre de la clause de mobilité
C’est parfois la précipitation de l’employeur qui va révéler le comportement abusif. Ainsi en est-il de l’employeur « notifiant sa mutation à la salariée sans la faire bénéficier ni du délai contractuel de réflexion de 8 jours, ni d’un délai de prévenance suffisant pour rejoindre son nouveau lieu de travail », Cass. soc. 18 septembre 2002 n°
99-46136 (P) ou encore de l’employeur qui ne laisse qu’un délai de 4 jours à une salariée pour organiser son départ, en l’occurrence, Bayonne – Morlaas distants de 118 km. Cass. soc. 19 mars 2003 n°
01-40128
La mise en œuvre de la clause de mobilité est également abusive quand l’employeur ne laisse que 6 jours au salarié travaillant à Carcassonne pour rejoindre Dax et Bordeaux. Cass. soc. 2 mars 2005 n°
02-47546. Il en est de même quand on demande à une vendeuse le vendredi soir d’être dans un autre magasin le lundi matin, quand bien même le nouveau lieu de travail est situé à 15 kilomètres de l’ancien. Cass. soc. 11 mai 2005 n°
03-43040. Ou encore d’un délai de 48 H pour donner une réponse à une mutation de Paris à Aix-en-Provence. Cass. soc. 1
er décembre 2004 n°
03-40306
D’autres fois, les juges devront sonder les véritables intentions de l’employeur et faire preuve d’une grande perspicacité pour démasquer la véritable raison motivant l’ordre de mutation donné au salarié.
Le détournement de pouvoir de l’employeur
La décision de l’employeur est prise pour des considérations autres que celles liées à l’intérêt de l’entreprise.
La Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel ayant considéré comme abusive la mise en œuvre d’une clause de mobilité après avoir constaté que « l’employeur avait déjà tenté de rompre le contrat de travail à la suite du différend qui l’opposait à la salariée quant à l’évolution de sa rémunération ». Cass. soc. 3 mai 2000 n°
98-41720
Il pourra s’agir du contournement du motif économique de licenciement par l’entreprise, confrontée à des difficultés économiques, qui souhaitant se séparer d’un salarié ancien à un moindre coût, se constitue un motif de licenciement en lui proposant d’abord une mutation sur le site de Sassenage qu’elle savait devoir fermer prochainement puis, en le mutant à nouveau, en vertu d’une clause de mobilité dont elle savait que le salarié refuserait l’application. Cass. soc. 14 avril 1999 n°
97-41451
Il pourra également s’agir du contournement de la procédure disciplinaire dans l’hypothèse où la mutation était destinée à masquer une sanction disciplinaire et à éviter la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire aléatoire. Cass. soc. 24 juin 1998 n°
96-41663 et Cass. soc. 16 décembre 2005 n°
03-44843 au sujet d’une mutation synonyme de rétrogradation.
Selon un raisonnement similaire, la Cour de cassation approuve une Cour d’appel qui, « après avoir relevé que la mutation avait été décidée en raison des problèmes relationnels existant entre la salariée et son nouveau supérieur hiérarchique, a retenu, d’une part, que sous le couvert de l’intérêt de l’entreprise, l’employeur avait imposé à la salariée une « mutation-sanction » alors que son comportement n’était pas à l’origine des difficultés relationnelles ainsi invoquées et, d’autre part, qu’en lui imposant un tel éloignement, ce dernier avait utilisé la clause de mobilité de manière abusive, en sorte qu’elle a pu décider que le refus de la salariée n’était pas fautif ». Cass. soc. 30 juin 2004 n°
02-44145
Dans le même ordre d’idée, lorsque la mutation a un caractère disciplinaire, si les juges constatent que « la faute invoquée à l’appui de cette mesure n’est pas établie, ils peuvent en déduire que le refus du salarié de rejoindre le nouveau lieu de travail n’est pas fautif et ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ». Cass. soc. 11 juillet 2006 n°
04-47560
Enfin, « la cour d’appel qui constate que l’employeur invoquait la nécessité d’une mutation des époux X... pour répondre à des impératifs commerciaux alors que l’indice de progression du magasin de Digne était toujours au-dessus de l’indice de réalisation fixé par l’employeur excepté pour le deuxième semestre 2000 et qu’il ressortait d’autres motifs que les conditions dans lesquelles la décision relative
- la mutation avait été prise procédaient d’une décision suspecte vis-à-vis de salariés ayant une certaine ancienneté et ayant démontré leurs capacités de gestion » peut retenir la mise en œuvre abusive de la clause de mobilité et condamner l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cass. soc. 12 juillet 2006 n° 04-47687
La Cour de cassation a également retenu la mise en œuvre abusive de la clause de mobilité dans l’hypothèse où le poste sur lequel la salariée devait être mutée n’avait pas été pourvu postérieurement au licenciement. Cass. soc. 22 février 2006 n°
04-42658
La prise en considération des conséquences de la mutation pour le salarié
La Cour de cassation a par exemple retenu l’usage abusif d’une clause de mobilité dans l’hypothèse où l’employeur « connaissait les difficultés matérielles du salarié et l’avait auparavant employé dans des lieux peu éloignés de son domicile, l’avait affecté, à partir du 21 janvier 2000, sur un site distant de plus de 150 km, sans rechercher s’il existait d’autres possibilités d’emploi, en dépit des observations de l’intéressé qui avait signalé le mauvais état de son véhicule ». Cass. soc. 2 juillet 2003 n°
01-42046
De même, agit avec une légèreté blâmable l’employeur mettant en œuvre une clause de mobilité alors, d’une part, qu’il savait que Mme D était la mère d’un enfant handicapé moteur dont elle devait s’occuper à l’heure du déjeuner, et que d’autre part, le poste occupé antérieurement par Mme D était libre. Cass. soc. 6 février 2001 n°
98-44190 (P)
Dans le même ordre d’idée, « la Cour d’appel qui a relevé que l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, avait fait un usage abusif de la clause de mobilité en imposant au salarié qui se trouvait dans une situation familiale critique, un déplacement immédiat dans un poste qui pouvait être pourvu par d’autres salariés ». Cass. soc. 18 mai 1999 n°
96-44315 (P)
Pour la Cour de cassation, les juges doivent vérifier que la mise en œuvre de la clause de mobilité ne porte une atteinte au droit de la salariée à
une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché et d’autre part si la modification des horaires journaliers de travail était compatible avec des obligations familiales impérieuses. Cass. soc. 13 janvier 2009 n°
06-45562 (P)
En l’occurrence, une salariée veuve élevant 2 enfants en bas âge avait refusé une mutation s’accompagnant d’un changement de ses horaires de travail. Alors qu’elle finissait habituellement à 19h, elle aurait dû travailler jusqu’à 21h.
La Cour de cassation avait déjà fait appel à la notion de
vie personnelle et familiale dans une précédente décision au sujet de la mutation d’une salariée à temps partiel en congé parental d’éducation qui, habitant Marseille, avait refusé d’accomplir une mission de 3 mois à Paris. Cass. soc. 14 octobre 2008 n°
07-40523 (P)
Si l’employeur peut faire jouer une clause de mobilité, encore faut-il qu’il ne mette pas le salarié dans l’impossibilité d’exécuter son travail.
Un Conseil de Prud’hommes a pu décider que, la salariée se trouvant dans l’impossibilité en l’absence de transport en commun de se rendre à l’heure prévue sur le nouveau lieu de travail qui lui était imposé, l’employeur avait abusé du droit qu’il tient de l’exercice de son pouvoir de direction à défaut de lui assurer des moyens de se rendre sur son lieu de travail et ce bien que le contrat ait comporté une clause de mobilité. Cass. soc. 10 janvier 2001 n°
98-46226 (P).
Enfin, les juges constatant que « la mise en œuvre de la clause de mobilité avait pour conséquence d'entraîner un important bouleversement dans la vie personnelle et familiale de la salariée alors qu'elle avait l'essentiel de ses clients grands comptes en région parisienne, région Rhône-Alpes et Normandie et que ses attributions n'exigeaient nullement sa présence permanente à l'agence de Pessac » peuvent en déduire « l'abus de l'employeur dans la mise en œuvre de la clause de mobilité ». Cass. soc. 20 février 2007 n°
05-43628
Le salarié pourra aussi s’appuyer sur d’éventuelles contre indications médicales formulées par le médecin du travail, par exemple si la mutation implique de longs trajets incompatibles avec son état de santé. Cass. soc. 28 juin 2006 n°
04-45798