La preuve en droit du travail : « (…) le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination (…) Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ». L 1134-1.
Dans quel cadre est établie la preuve de discrimination ?
La preuve de discrimination est établie dans le cadre des articles 225-1 à 225-4 de la loi française, qui interdit toute distinction opérée entre les personnes morales sur le fondement de l'origine, du sexe, de la situation de famille, etc. La protection contre les discriminations est assurée par des décisions-cadres du Défenseur des droits et des politiques d'employeurs visant à ne pas embaucher certaines personnes. Les victimes peuvent recourir à la justice pour obtenir une indemnisation.
La preuve en droit du travail : illustrations
Discrimination dans le déroulement de carrière
« le salarié n’avait bénéficié d’aucune promotion individuelle depuis 1987 et que ses fiches d’évaluation au titre des années 1990, 1996, 1998, 1999 et 2000, au vu desquelles la direction arrêtait ses choix de promotions, faisaient référence à ses activités prud’homales et syndicales et aux perturbations qu’elles entraînaient dans la gestion de son emploi du temps, ce dont il se déduisait que ces éléments laissaient supposer l’existence d’une discrimination syndicale ». Cass. soc. 1 er juillet 2009 n° 08-40988 (P).
« pour débouter le salarié de sa demande, l’arrêt retient que la référence à ses activités syndicales constitue un simple constat dépourvu de jugement de valeur ne remettant pas en cause la qualité du travail de l’intéressé soulignée dans d’autres rubriques d’évaluation et que les éléments de fait présentés par le salarié ne laissent pas supposer l’existence d’une discrimination syndicale ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les fiches d’évaluation du salarié pour les années 1991 et 2002 faisaient mention d’une disponibilité réduite du fait de ses fonctions syndicales, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ». Cass. soc. 11 janvier 2012 n° 10-16655 (P).
« M. X... était le seul salarié dont le coefficient n’avait pas évolué depuis 1991 et qu’il faisait valoir qu’il avait été pénalisé dans ses évaluations en raison de son indisponibilité liée à son mandat syndical, et, qu’ensuite, elle avait elle-même retenu qu’il avait fait personnellement l’objet de mesures de la part de son employeur en vue de sanctionner son activité syndicale “ considérée trop insistante et incisive “ et qu’il était établi qu’il avait fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires et d’une tentative de licenciement en raison de “ son activité syndicale soutenue au sein des institutions représentatives du personnel “, (…) ce dont il se déduisait que le salarié avait présenté des éléments laissant supposer une discrimination syndicale ». Cass. soc. 30 avril 2009 n° 06-45939 (P).
« Après avoir relevé (…) que les nombreuses absences de l'appelant en délégation limitaient son investissement et son évolution professionnels, empêchaient l'évaluation de sa valeur professionnelle et le mettaient en retard par rapport à l'évolution technique du métier et, (…), que l'absence de promotion individuelle et d'augmentation individuelle de salaire de M. X... était due, non pas directement à son appartenance syndicale, mais à son manque d'acquisition des compétences professionnelles tout au long de sa carrière, liée, mais manifestement pour partie seulement, à son activité syndicale le rendant peu disponible vis-à-vis de sa hiérarchie, la cour d'appel le déboute néanmoins de sa demande ; En statuant ainsi alors qu'un employeur ne peut, fût-ce pour partie, prendre en compte les absences d'un salarié liées à ses activités syndicales pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l'avancement et la rémunération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés » Cass. soc. 27 mai 2008 n° 07-40145.
« Une cour d'appel, ayant relevé que, pour justifier la stagnation du salarié au même coefficient pendant vingt-neuf ans, l'employeur avait notamment pris en considération sa faible disponibilité en raison de mandats syndicaux ou électifs, a justement considéré que le salarié avait subi une discrimination syndicale ». Cass. soc. 26 janvier 2010 n° 08-44118.
« L'employeur ne saurait reprocher aux juges de l'avoir condamné à verser à un salarié des dommages-intérêts pour discrimination en raison de son appartenance et de ses activités syndicales alors qu'ils ont retenu que l'évolution de la carrière du salarié avait stagné pendant vingt années à compter de l'exercice de ses fonctions syndicales, que, salarié le plus ancien du service, il est rémunéré sur la même base que les salariés entrés au service de l'employeur dix-sept ans après lui, et constaté que l'employeur n'apportait aucun élément objectif justifiant cette disparité de situations. Cass. soc. 26 avril 2006 n° 04-46098.
Comment évaluer le préjudice subi ?
La méthode du panel (ou triangulation) inventée par François Clerc (CGT) Exemple simple : Un salarié, DS depuis 10 ans, gagne 500 euros de moins par mois que la médiane des salaires de son panel, et ce sans justification de la part de la direction. L’entreprise devra alors augmenter le salaire de ce syndiqué discriminé du montant de 500 euros mensuels, et verser, au titre de la réparation du préjudice subi la somme de : ((500 euros x 10 ans x 12 mois)/2) + 30%=39000 euros. Sans compter un potentiel préjudice moral auquel pourrait être condamnée l’entreprise.
L’évaluation, aveu de discrimination
Il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale dans l'évaluation du salarié. Son supérieur hiérarchique a mentionné lors de son entretien professionnel annuel le 31 mars 2004 : "M. X... n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part" Cass. soc. 17 octobre 2006 n° 05-40393 (PB).
Une cour d'appel, ayant constaté que l'absence, pendant plusieurs années, d'entretien d'évaluation du salarié ayant exercé divers mandats représentatifs à la différence d'autres salariés se trouvant dans la même situation avait affecté ses chances de promotion professionnelle, a pu en déduire que cette différence de traitement avait causé au salarié un préjudice dont elle a souverainement évalué le montant. Cass. soc. 19 janvier 2010 n° 08-45000.
« Dès lors qu'il résulte des évaluations annuelles que le comportement au travail du salarié titulaire de divers mandats de représentation du personnel n'a donné lieu à aucun reproche, la décision de l'employeur de ne pas lui faire bénéficier de la même évolution de carrière ou de rémunération que celle d'autres salariés dont la situation est comparable n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Cass. soc. 19 octobre 2010 n° 08-44247.
« pour débouter M. X...de sa demande en dommages intérêts pour discrimination syndicale, la cour d’appel, après avoir successivement apprécié chacun des dix éléments invoqués par le salarié, conclut qu’aucun des éléments qui sont établis ne permet de considérer que le salarié a été victime de mesures discriminatoires ; Qu’en statuant comme elle l’a fait, (…) alors qu’elle avait constaté qu’en raison de ses absences pour exercer ses mandats représentatifs le salarié s’était vu affecter un autre véhicule que celui qu’il conduisait habituellement jusqu’à l’intervention de l’inspecteur du travail, qu’il n’avait bénéficié ni des frais de repas lors de ses journées de délégation ni de diverses primes attachées à son exercice professionnel, que son salaire moyen était le plus faible de tous les chauffeurs, à l’exception d’un autre, qu’il n’avait pas d’entretien d’évaluation, et qu’il était l’un des seuls chauffeursexception faite de trois autres délégués syndicaux-à ne pas bénéficier d’un téléphone mobile, ce dont il résultait que le salarié avait présenté des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination ». Cass. soc. 29 juin 2011 n° 10-15792 (P).
« pour le débouter de sa demande en paiement de dommage-intérêts, l’arrêt retient que, le salarié ne produisant aucun élément de comparaison avec la situation d’autres salariés s’agissant des périodes au cours desquelles il s’est trouvé sans travail comme de sa faible augmentation de rémunération, les éléments de fait qu’il présente sur ces points ne caractérisent aucune discrimination ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés et qu’il résultait de ses constatations que l’employeur n’avait pas fourni de travail au salarié pendant de longues périodes, élément de nature à laisser supposer l’existence d’une telle discrimination ». Cass. soc. 29 juin 2011 n° 10-14067 (P).
La discrimination dont font l’objet les représentants syndicaux se traduit fréquemment par une stagnation de l’évolution professionnelle et corrélativement de leur rémunération. La preuve de la discrimination suppose donc, en général, de pouvoir apporter des éléments de comparaison avec d’autres salariés. La difficulté est de pouvoir accéder aux données factuelles permettant de procéder à la comparaison, particulièrement la rémunération.
Comment faire pour établir la discrimination ?
- Saisir le défenseur des droits (ex:Halde)
- Saisir l’inspecteur du travail: Le représentant du personnel peut solliciter l’intervention de l’inspecteur du travail s’il s’estime victime de discrimination. L’inspecteur du travail peut enquêter. Lorsqu’il est saisi d’une demande d’autorisation de licenciement, il doit s’assurer que la décision de l’employeur ne présente aucun lien avec le mandat. « le licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé ». Conseil d’Etat 7 décembre 2009 n° 315588 (P)
- Exercer un droit d’alerte DP: « Si un DP constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. » (Art. L 2313-2 alinéa 1 du code du travail). Le code du travail ne précise pas la forme de la saisine de l’employeur. Pour des questions de preuve et donc d’efficacité pratique et juridique du droit d’alerte, l’écrit (mail par exemple) avec copie à l’inspection du travail est indispensable. « L'employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation ». L 2313-2 alinéa 2 Et si l’employeur refuse de faire l’enquête, refuse de fournir les éléments permettant de vérifier la réalité de la discrimination ou ne prend pas les dispositions nécessaires, le juge peut être saisi. « En cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d'une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor ». L 2313-2 alinéas 3 et 4. Si la saisine du juge peut être l’aboutissement du droit d’alerte, le salarié peut aussi décider de saisir directement le Conseil de Prud’hommes en référé.
- Saisir le juge des référés et l’article 145 du code de procédure civile: « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Requête : la procédure n’est pas contradictoire (éviter la disparition ou destruction de preuves) Référé : la procédure est contradictoire. l’affaire jugée par la Cour de cassation le 19 décembre 2012 Les faits : Mmes X...et Y...ont été engagées par la société nationale Radio France en qualité de régisseur de production et occupent l’une et l’autre, depuis le 1er janvier 1987, un poste de chargée de réalisation radio ; qu’elles sont classées en groupe de qualification B. 21 de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles ; que soutenant que de nombreux chargés de réalisation placés dans une situation identique perçoivent une rémunération plus importante que la leur et sont classés dans une catégorie supérieure, elles ont saisi la juridiction prud’homale de référé d’une demande tendant, sur le fondement du motif légitime prévu par l’article 145 du code de procédure civile, à obtenir la communication par l’employeur de différents éléments d’information concernant ces autres salariés et susceptibles, selon elles, d’établir la discrimination dont elles se plaignent. Leurs demandes: Elles demandaient : « les contrats de travail, avenants, bulletins de paie de certains autres salariés de l’entreprise, ainsi que le montant des primes de sujétion distribuées depuis 2000 à ces mêmes personnes, les tableaux d’avancement et de promotion des chargés de réalisation travaillant dans la même société ». La Cour d’appel donne raison aux salariées en ordonnant, sous astreinte, la production par l’employeur des documents demandés. Les arguments de l’employeur en cassation: - L’article 145 du CPC ne peut être utilisé pour révéler une présomption de discrimination; - Le secret des affaires et le respect de la vie privée s’opposent à la communication des pièces demandées par les salariées. La réponse de la Cour de cassation - « le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » - « la procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’étant pas limitée à la conservation des preuves et pouvant aussi tendre à leur établissement, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a retenu que les salariées justifiaient d’un motif légitime à obtenir la communication de documents nécessaires à la protection de leurs droits, dont seul l’employeur disposait et qu’il refusait de communiquer ». Cass. soc. 19 décembre 2012 n° 10-20526 et 10-20528 (P).