Le droit d’alerte du délégué du personnel

Issu d’une loi du 31 décembre 1992, l’article L. 2313-2 du Code du travail reste méconnu des délégués du personnel alors qu’il leur offre un large champ d’intervention et des moyens efficaces de régler une situation grave affectant les droits et libertés des salariés. Cet article prévoit une action qui peut comporter quatre temps :
  • Le constat de l’atteinte aux droits
  • La saisine de l’employeur
  • L’enquête conjointe
  • Le recours au juge

Le constat

Un DP constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché. Le texte précise que cette atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles peut notamment résulter de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. Illustrations : Le DP peut exercer son droit d’alerte pour « réclamer le retrait d'éléments de preuve obtenus par l'employeur par des moyens frauduleux qui constituent une atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles ». Il s’agissait en l’occurrence de vidéos réalisées à l’insu des salariés et dont l’employeur se prévalait pour justifier leur licenciement. Cass. soc. 10 décembre 1997, n° 95-42661(P) Un DP a également pu mettre en œuvre son droit d’alerte pour s’assurer que suite à une demande d’enquête confiée à l’administrateur des systèmes informatiques, la confidentialité des messages personnels des salariés avait été respectée. Cass. soc. 17 juin 2009 n° 08-40274 (P). Le retrait d’une grille de notation comportant des critères d’appréciation discriminatoires a également été obtenu par un délégué du personnel dans un établissement de la SNCF. Cass. soc. 9 mai 2006 n° 04-43455. De même, un juge a-t-il pu ordonner une enquête obligeant l’employeur à fournir des éléments de comparaison avec d’autres salariés de l’entreprise après avoir constaté que les DP produisaient des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination liée à l'appartenance syndicale. Interpellé par les DP, l'employeur n’avait pas pu justifier que la différence de traitement en matière de rémunération et de déroulement de carrière reposait sur des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination. Cass. soc. 19 mai 2010 n° 09-40713. Le DP peut exercer le droit d’alerte à son profit comme il en a été jugé dans une affaire de discrimination syndicale. Il a fait valoir qu'il était le seul salarié au sein de son atelier à ne pas percevoir de prime de salissure et que cette mesure ne pouvait être dictée que par son appartenance syndicale. A cette occasion, la Cour juge que même lorsque le DP exerce son droit d'alerte pour son propre compte, les heures qu'il consacre à cette action s'imputent sur son crédit d'heures. Cass. soc. 26 mai 1999 n° 97-40966 (P). On est amené à déduire de cette décision que le droit d’alerte ne peut être exercé que par un DP titulaire, les suppléants, sauf lorsqu’ils remplacent un titulaire, ne disposant pas d’heures de délégation. En revanche, rappelant que le droit d’alerte ne concerne que les actions ayant pour objet de veiller à la protection des personnes et des libertés individuelles et collectives, la Cour de cassation juge que ce droit ne pouvait être mis en œuvre à propos d’un litige concernant, semble-til, une indemnité congés payés. Cass. soc. 3 février 1998 n° 96-42062 (P).

La saisine de l’employeur

Dès que le DP fait le constat d’une situation visée par le texte « il en saisit immédiatement l'employeur ». L’accord du salarié pour lequel le DP intervient n’est pas requis. Il appartiendra à chaque DP d’apprécier la gravité de la situation, de peser les intérêts en présence, et parfois d’intervenir même si le salarié ne le souhaite pas. Si le code du travail n’impose pas de forme particulière à la saisine de l’employeur, il nous apparaît important de le faire par écrit en précisant que l’on intervient dans le cadre de l’article L 2313-2 du code du travail. De même, informer l’inspecteur du travail de la démarche semble judicieux. Le cas échéant, si la situation relève de ses attributions, il faudra également informer le CHSCT. Toutefois, une certaine prudence s’impose dans la manière de saisir l’employeur. Des DP ont ainsi été condamnés pénalement pour diffamation après avoir affiché un message imputant des faits de harcèlement sexuel à un cadre de l’entreprise. Pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, « aucune disposition législative ou réglementaire n'autorise un salarié, fût-il titulaire d'un mandat syndical ou délégué du personnel, à dénoncer dans un écrit dont il sait qu'il sera diffusé par voie d'affichage, des faits de harcèlement sexuel imputés à un cadre de l'entreprise ». Cass. crim. 3 avril 2002 n° 01-86730.

L’enquête conjointe

« L'employeur ou son représentant est tenu de procéder sans délai à une enquête avec le délégué et de prendre les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation ». Cette enquête doit permettre de se faire une idée exacte sur la situation et de prendre les mesures qui s’imposent. Si l’employeur ne partage pas l’analyse du DP sur la gravité de la situation ou s’il ne fait rien pour la régler, le DP a la possibilité de saisir le juge. Il s’agit de la phase clé de la procédure. Trop souvent le DP signale sans se préoccuper suffisamment de la suite et laisse le champ libre à l’employeur qui peut mener l’enquête à sa guise. Le DP doit donc être très vigilant sur ce qui se passe après la saisine de l’employeur et saura rappeler que le code prévoit une enquête conjointe. Si l’enquête doit se dérouler sans délai, un minimum d’organisation s’impose. Qui interroge-t-on ? Dans quel ordre ? En quel lieu ? Etc. Autant de questions auxquelles il faut avoir pensé avant de saisir l’employeur. Il faudra également faire en sorte que les salariés interrogés puissent s’exprimer de la manière la plus libre qui soit. En matière de harcèlement par exemple, le code du travail garantit l’impunité du salarié qui témoigne en prévoyant qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. (Article L 1152-2 pour le harcèlement moral et L 1153-3 pour le harcèlement sexuel). Un compte rendu sera établi qui recensera les différents témoignages et éléments factuels collectés au cours de l’enquête.

Le recours au juge

« En cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié concerné averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du Conseil de prud'hommes qui statue selon les formes applicables au référé. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d'une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor ». Cette possibilité donnée au DP d’agir en justice pour un salarié, à partir du moment où ce dernier ne s’y oppose pas, constitue une prérogative exceptionnelle justifiée par la nature de la situation à régler. C’est le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes qui est directement saisi. Il n’y a pas de phase de conciliation. Lors de l’audience, ce sont donc 4 juges qui siègent et non 2 comme dans la procédure classique de référé. Lorsque le DP saisit le Conseil il saura rappeler, le cas échéant, si le greffier n’est pas au fait de toutes les subtilités du droit d’alerte, que la procédure d’urgence qu’il met en œuvre lui permet d’obtenir l’inscription de son affaire dans le même délai de celui applicable à la procédure classique de référé. Ce délai avoisine souvent le mois, plus ou moins selon l’encombrement du Conseil saisi. Pouvant « ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte », les pouvoirs du juge prud’homal apparaissent considérables, mais encore une fois justifiés par la nature de la situation à traiter. Dans un cas de mutation abusive d’une salariée de Salons de Provence (13) à Lieusaint (77) suivi d’un licenciement consécutif à ce refus, le droit d’alerte initié par un DP suivi de la saisine du Conseil de prud’hommes avait permis d’obtenir la réintégration de la salariée dans l’établissement initial. Malheureusement, la Cour de cassation estime que le juge ne peut imposer une telle mesure à l’employeur faute d’une atteinte à une liberté fondamentale. Pour la Cour de cassation, une mutation géographique ne constitue pas en elle-même une atteinte à la liberté fondamentale du salarié quant au libre choix de son domicile Cass. soc. 28 mars 2006 n° 04-41016 (P) Une limite est néanmoins fixée par la Cour de cassation, l’impossibilité pour le Conseil de prud’hommes d’ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail. Cass. soc. 1er juillet 2009 n° 07-44482 (P) L’employeur a néanmoins tout à craindre de l’intervention du juge. Cette « épée de Damoclès » suspendue au-dessus de la tête ne peut que l’inciter à prendre au sérieux la démarche du DP et surtout à régler de manière satisfaisante la situation sur laquelle il est alerté.

Dans quel cadre s'exerce le droit d'alerte du délégué du personnel ?

Le droit d'alerte du délégué du personnel s'exerce lorsqu'il constate un danger imminent au sein de l'entreprise, susceptible d'avoir un impact sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des employés. Le droit d'alerte du délégué du personnel s'exerce dans le cadre du comité d'entreprise. Le droit d'alerte incombe à tout travailleur, mais les représentants du personnel élus au CSE ou délégués syndicaux ont une responsabilité particulière pour la santé, la sécurité et les conditions de travail des employés. Le CSE peut exercer son droit d'alerte lorsqu'il constate un danger imminent au sein de l'entreprise, et le délégué du personnel peut réclamer le retrait d'éléments de preuve obtenus par l'employeur par des moyens frauduleux qui constituent une atteinte aux libertés individuelles.